jeudi 13 mars 2008

Article : la question de l’esclavage au Niger
L’esclavage reste un sujet tabou au Niger. Ni les autorités traditionnelles, ni les pouvoirs publics ne veulent être mis sur la sellette et désignés du doigt. Aussi, pour éviter l'accusation de complaisance sinon de complicité, les uns et les autres s'efforcent-ils d'étouffer toute tentative de poser le problème sur la place publique et d'en débattre. Faire silence sur les problèmes tiendrait lieu ainsi paradoxalement de solution. Or, cette politique du silence crée les conditions mêmes de la pérennité de l’esclavage.
Certes, aujourd'hui, la condition servile se manifeste, généralement, sous la forme d'une domination économique, mais cette situation ne résume pas à elle seule l'ensemble des rapports qui continuent de lier les esclaves à leurs anciens maîtres. À l'exploitation économique, s'ajoute, en effet, une mentalité d'exclusion qui, associée aux solidarités tribales, permet de pérenniser les diverses relations d'asservissement. Dans le milieu rural nigérien, l'esclave n'est pas un simple métayer cultivant la terre d'autrui, c'est avant tout un être dépossédé de sa personne. Considéré comme un bien, il est classé dans le patrimoine de son maître, au même titre que les biens mobiliers et immobiliers.
L’esclavage est d'abord le droit d'user, de disposer et parfois d'abuser des services d'une personne qui ne peut exprimer librement sa volonté. À l'opposé des formes contractuelles où le consentement et la volonté créent l'obligation juridique, on a affaire, ici, à un engagement dicté par un rapport de forces historique et matériel, légitimé par l'idéologie traditionnelle et la mentalité dominante et, au bout du compte, toléré par les autorités de l'État. En outre, l'existence d'une mentalité d'exclusion propre aux sociétés de castes, donne à l’esclavage nigérienne une spécificité propre : l'esclave n'y est pas seulement un domestique taillable et corvéable à merci, c'est aussi un être socialement inférieur.
En tant que victime de ce fléau, je réitère ses neufs propositions pour traduire dans les faits cette loi criminalisant l’esclavage au Niger et je voudrai que les nigériens s’engager la lutte pour l'éradication du phénomène :
* Application effective de la loi en vigueur qui prohibe les pratiques d'esclavage. Des décrets d'exécution doivent être édictés. Il faut également révoquer les juges ou tout autre fonctionnaire qui refuse d'exécuter les textes légaux. Approfondissement de la législation applicable, notamment par la pénalisation des faits de pratiques d'esclavage. Les responsables doivent pouvoir être déférés devant les tribunaux pour que justice soit rendue.
* Reconnaissance des organisations nigériennes de promotion et de défense des droits humains, notamment celles qui se consacrent à la lutte pour l'éradication de l’esclavage .
* Création d'un observatoire national des libertés qui aurait pour mission de s'assurer de la collaboration réelle des administrations de l'État dans la lutte contre l’esclavage.
* Réparation sous forme de dommages et intérêts pour tout préjudice avéré du fait de pratiques esclavagistes.
* Individualisation de terrains agricoles au profit de ceux qui travaillent effectivement la terre, car celle-ci doit revenir à ceux qui la cultivent.
* Radicalisation de la lutte contre les mentalités et les forces rétrogrades par une déconstruction de la légalisation religieuse de l’esclavage.
* Éducation et formation professionnelle pour tous, avec, notamment, une priorité aux zones de concentrations d'esclaves et anciens esclaves en vue de rattraper les retards accumulés par plusieurs générations ;
* Éducation aux droits de l'homme et à la lutte contre l’esclavage dans le cadre des programmes scolaires.
* Utilisation des média publics, radiophoniques et audiovisuels, pour développer des campagnes de sensibilisation, dans toutes les langues nationales, contre les pratiques d'esclavage et contre la survivance du phénomène.