jeudi 24 juillet 2008

PLAINTE CONTRE L’ÉTAT DU NIGER POUR FAITS D’ESCLAVAGE UN PROCÈS SANS PRÉCÉDENT

Par une procédure qui fera jurisprudence, une ancienne esclave poursuit l’État du Niger devant la Cour de Justice de la Communauté économique des États d’Afrique Occidentale (ECOWAS). L’affaire sera plaidée le 7 avril 2008, au motif que le Niger n’a pas fait le nécessaire pour appliquer les lois contre l’esclavage.

Le gouvernement du Niger est accusé d’avoir, malgré la loi de 2003 faisant de l’esclavage un crime, d’une part échoué à protéger Hadijatou Mani de la mise en esclavage, d’autre part de continuer à légitimer cette pratique à travers le droit coutumier, discriminatoire à l’égard des femmes et en contradiction évidente avec son propre code criminel et sa constitution.

Hadijatou a été vendue à l’âge de douze ans pour £ 250 et a été utilisée comme domestique et travailleuse agricole. Elle était aussi esclave sexuelle, ou sadaka, pour son maître, qui avait déjà quatre épouses et sept autres sadaka. Hadijatou a servi pendant dix ans ce maître et sa famille. Elle ne touchait aucun salaire, vivait dans la totale dépendance à son maître, soumise régulièrement à des coups et à des violences sexuelles. Ces circonstances correspondent parfaitement à la définition de l’esclavage acceptée depuis longtemps par la communauté internationale : “L’état ou condition d’une personne privée en partie ou en tout de son propre droit de propriété.” (Convention de l’ONU sur l’esclavage, 1926).

En 2005, son maître lui rendit la liberté - la munissant d’un “certificat de libération” - avec l’intention de légaliser sa “relation” à elle. Mais, lorsqu’ Hadijatou voulut profiter de sa liberté retrouvée et partir, il refusa net, prétendant qu’elle était en fait son épouse. Elle s’adressa à un tribunal local qui jugea qu’il n’y avait pas eu mariage, qu’elle était donc libre. Hadijatou épousa alors un homme de son choix, mais son ancien maître porta plainte contre elle pour bigamie. Lors du nouveau procès, le juge se prononça en faveur du maître et elle fut condamnée à six mois de prison.

Pour sa défense, les avocats locaux sont assistés par le Centre international pour la protection juridique des droits de l’homme (INTERIGHTS), et soutenus par Anti-Slavery International et Timidria. Hadijatou demande réparation à la Cour de Justice d’ECOWAS au motif que le Niger a violé ses obligations liées à la Charte africaine des droits humains et droits des peuples, au Pacte international des droits civils et politiques, à la Convention pour l’élimination de toutes formes de discrimination envers les femmes, à la Charte africaine des droits et du bien-être de l’enfant, à la convention sur l’esclavage et la convention additionnelle sur l’abolition de l’esclavage, la traite, et toutes institutions ou pratiques analogues - tous textes ratifiés par le Niger, ainsi que ses lois propres.

43 000 personnes au moins sont maintenues en esclavage au Niger. Elles naissent au sein d’une classe établie d’esclaves et sont tenues de travailler selon les volontés de leur maître, y compris comme bergers ou domestiques, sans aucun salaire. Les esclaves se transmettent, peuvent être offerts en cadeau et se voir ôter leurs enfants en bas âge. Ils n’ont ni droits, ni faculté de choix.

Un jugement favorable établirait un précédent juridique quant à la protection contre l’esclavage. En outre, comme les décisions d’ECOWAS s’appliquent à tous les États membres, ce résultat pourrait avoir un effet important sur les questions d’esclavage et de droits humains au-delà du Niger. Le sens du message serait que la prohibition juridique de l’esclavage, déjà ancienne, doit être mise en pratique, et il permettrait de clarifier en pratique les obligations des États vis-à-vis de l’éradication de l’esclavage.