vendredi 21 décembre 2007

Interview de Ilguilas Weila, président de l’association Timidria, un pionnier de la lutte contre l'esclavage au Niger par Syfia International.

Syfia International : Comment vous est venue cette volonté de lutter contre les pratiques esclavagistes au Niger ?
Ilguilas Weila :
Le souci de restaurer la dignité humaine m’a poussé avec mes camarades à embrasser cette lutte que je trouve noble. J’ai grandi dans l’Azawak (nord-ouest du Niger), une zone où le système de classes sociales est ancré dans les mentalités. Aux côtés des nobles vivent des moins nobles, des hommes libres et des esclaves. Depuis ma jeunesse, les conditions de vie difficiles de ces esclaves m’ont beaucoup préoccupé. J’ai vu les souffrances qu’ils enduraient. Dans cette zone, l’esclave était considéré comme une bête et travaillait pour son maître de jour comme de nuit sans aucune rémunération. Pour un rien, il recevait des coups de bâton. Insultes, privation de sommeil, gifles et refus d’assistance faisaient partie de son quotidien. Certains jours, il était même privé de ses devoirs religieux.Cette servilité et le silence complice des populations m’ont révolté. Avec le vent de la démocratie en 1991, nous avons créé l’association Timidria (fraternité en tamacheq, Ndlr) pour sensibiliser les gens. Il y a aussi eu la création d'écoles communautaires pour les enfants de classes serviles. Nous assistons juridiquement ces personnes, en portant à leur connaissance les conventions internationales sur les droits de l’Homme que le Niger a ratifiées.En 16 ans de lutte, nous avons libéré 310 esclaves. Mieux, les mentalités sont en train de changer. Qui a connu la région d’Azawak dans les années 1960 sait qu’aujourd’hui les choses évoluent positivement. Les gens sont en train d’ôter de leur tête cette idée saugrenue de considérer tous ceux qui ont la peau noire comme des esclaves, et ceux qui ont la peau blanche comme des nobles.
Syfia International : Quelles sont les formes de l'esclavage au Niger aujourd'hui ?

Ilguilas Weila : Il y a 10 groupes ethnolinguistiques au Niger et chaque groupe pratique l’esclavage à sa façon. Au cours de nos 16 années de lutte, nous avons classifié l’esclavage en trois grands groupes.D’abord, l’esclavage actif, qui se pratique dans les communautés nomades. Esclaves et maîtres vivent ensemble, les esclaves travaillant à longueur de journée. Ils conduisent les animaux aux pâturages, font les travaux domestiques et exploitent les terres cultivables. L’esclavage passif est lui vécu en zone sédentaire. Dans les parties ouest et sud du Niger, presque chaque village a son dabey, son quartier où vivent, à l’écart de leurs maîtres, des esclaves. Ces deux formes d’esclavage ont des traits communs. L’esclave est la propriété du maître et n’a pas le droit de posséder ne serait-ce qu’un lopin de terre. Ce sont pourtant, eux, les plus grands exploitants, mais pour le compte de leurs maîtres.Enfin, il y a ce que nous appelons l'esclavage moderne, qui concerne les petites filles domestiques.

Syfia International : Quel bilan faites-vous, 4 ans après l’adoption de la loi criminalisant l’esclavage au Niger ?

Ilguilas Weila :
A notre niveau, le bilan est mitigé, voire négatif. Nous avions en effet fondé beaucoup d’espoir sur cette loi qui prévoit 3 à 5 années d’emprisonnement pour toute personne reconnue coupable de pratique esclavagiste. Nous avions bataillé pour son adoption par l’Assemblée nationale et sa promulgation par le président de la République. Nous sommes la première république en Afrique de l’Ouest à posséder une telle loi. La commission nationale des droits de l’Homme et des libertés fondamentales a même fait sa vulgarisation à travers tout le pays. Malheureusement, dans la pratique, cette loi est inexistante. Beaucoup de personnes continuent à vivre en silence la servitude, par ignorance des textes. C’est pourquoi nous réfléchissons à des mécanismes permettant la mise en œuvre effective de cette loi.
Syfia International : Qu'est-ce qui explique, selon vous, l’implication récente des oulémas (chefs religieux musulmans, Ndlr) dans la lutte contre les pratiques esclavagistes ?

Ilguilas Weila : Depuis que nous avons commencé notre combat, nous nous sommes heurtés à ce problème de religion. Si vous dites à quelqu’un d’arrêter ses pratiques esclavagistes honteuses parce que le Niger a signé des conventions internationales les interdisant, il vous répondra que c’est grâce à l’islam qu’il a des esclaves, car il les a hérités de ses grands-parents.C’est pour cette raison que nous avons réuni en novembre dernier à Niamey, à l’occasion d’un atelier national, des oulémas venus de toutes les régions du Niger. Ils nous ont prouvé, Coran et Sunna (source législative du Coran, Ndlr) du Prophète à l’appui, que l’islam n’a jamais fait la promotion de l’esclavage. Nous leur avons demandé de nous aider à faire comprendre aux gens que ces pratiques sont anormales et contraires à l’islam. Les oulémas, tout comme la société civile, sont aujourd’hui nos alliés dans cette lutte.

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